[Parenthèse 33… ]
{ Les rideaux blancs ne laissaient pas filtrer la lumière du jour. Elle s’était levée un peu après 8h. La radio ne s’était pas allumée. Depuis le décès de son mari, elle ne savait plus trop comment gérer ce genre de chose et l’avait-elle jamais su. Dans son pyjama un peu délavé, elle n’avait plus la coquetterie de croire qu’il y avait encore lieu de vraiment s’attacher à la couleur pourpre ou non de ses vêtements de nuit, seule elle avait encore le don de s’en approcher véritablement. Il ne faisait ni trop chaud, ni trop froid. Juste un sentiment tiède, celui d’un temps qui passe presque à reculons aujourd’hui.
Sur le secrétaire, elle garde des lettres de son père, quelques photos de sa mère. Disséminées un peu partout, les bibelots lui rappellent les périodes de sa vie, les grains qui se sont écoulés trop vite. Elle sait qu’elle rabâche toujours les mêmes histoires. Elle continue à suivre l’actualité. Les enfants et les petits-enfants viennent régulièrement. Elle n’a pas à se plaindre. Elle le dit souvent à son gentil kiné qui vient deux fois par semaine pour les exercices de mobilité. Sa jambe gauche n’est plus qu’un souvenir de mouvement et la rigidité des muscles vient se fracasser aux articulations déboitées et usées. Pourtant, elle ne lâche rien. Elle ne quittera cet endroit qu’enfermé dans une caisse en bois.
Dehors, la température continue de s’élever. Les arbres dansent avec le vent dans un ballet farouche. Le printemps n’est plus ce qu’il est. Elle pense aux étés où elle courrait dans les prairies des alentours du village de ses grands-parents où elle passait deux mois au moins sur l’année. Les blés…
Allongée dans son fauteuil, elle sourit en repensant à ce jeune homme qu’elle avait serré contre son corps ferme un soir auprès du feu. Ou peut-être était-ce ailleurs. Elle s’est endormie. Derrière le bruit un peu rauque de sa respiration métronomique, le téléviseur déverse les commentaires chauds et enflammés des journalistes sportifs. Elle suivait toujours assidument les courses cyclistes, même s’il n’était plus là pour lui tenir la main quand elle s’énervait trop. Pourtant, imperceptiblement, elle ferme son poing, cherche, dans le creux de ce sommeil, la peau de son amour qui s’en est allé sans lui en parler. Son cœur s’est arrêté un matin d’hiver trop quotidien, et le sien s’est fissuré jusqu’à attendre de le retrouver.
La sonnette retentit. Elle se réveille. Un peu moite, elle se mobilise difficilement. Un deuxième coup. La porte s’ouvre avant qu’elle ait pu vraiment sortir de son siège. Il la regarde patiemment, tout en notant qu’elle est toujours en peignoir. Il lui sourit, les yeux profonds. Elle lui dit qu’il aurait pu prévenir, et ajoute qu’elle n’a rien dans le frigo, elle ne sait même pas si elle a du café. Il lui pose un bisou sur la joue. Il continue de sourire. Il ouvre les rideaux. La lumière pénètre brusquement dans son appartement, qui parait à cet instant immense. Il ouvre une fenêtre. Il a posé un sac rempli de denrées diverses, quelques fleurs aussi, puis de quoi manger un petit quelque chose, là, sur le moment. Elle maugrée quelques mots, va jusqu’à la salle de bain. Il l’observe toujours. Il n’a encore rien dit. Elle lui fait remarquer son silence, et aussi qu’il semble en forme. Elle a vu son sourire. Il s’arrête sur la photo de son père. Il retient quelques larmes. Quand elle revient, la table est dressée, le vent chaud vient fouetter leurs visages. Il l’installe à table, dépose un petit paquet devant elle, et en s’avançant lui dit doucement « belle fête maman ». Là, juste au fond, résonne la voix de Françoise Hardy, « Le large »…}
[Prenez infiniment soin de vous…et de ceux que vous aimez… ]
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