[Parenthèse… 12 février 2023… ]
{23h59. Le ciel ne fait plus qu’un avec la nuit. La lune envahit les interstices laissés par les fenêtres occultées. Seul, dans son canapé, il pose la tasse sur la table en bois foncé qui officie au milieu de son salon. Le smartphone en main, il appuie sur l’icône. Le casque sur les oreilles, les premiers sons. Il ferme les yeux. Son pied martèle le sol. Les yeux fermés. Petit à petit, son corps se meut. Ou peut-être se meurt. La voix résonne. Il augmente le volume. Seul. Les tâches bleutées au fond de sa tête s’accumulent. Les pores commencent à se dilater. Les volutes de fumées. Il bouge. Il saute. Les muscles saisis, tendus, dans une sarabande désarticulée. Les mots se fracassent, et se fracassent encore. “Wasted feelings / broken meanings / Time is fleeting / See what it brings / Hellos, goodbyes, a thousand midnights lost in sleepless lullabies” … Vivant…
Frénétique, les yeux toujours fermés, en équilibre instable, allégorie d’une vie à claudiquer, à se fourvoyer, à oublier, les sons, mélancoliques, presque féériques, s’insinuent dans les moindres mouvements et pensées qui s’agitent et qui cogitent. Les pores complètement dilatés, éclatés, la sueur se fraie un chemin, et commence à percer les tissus cotonneux qui collent son derme vieillissant… Mourant…
Il décèle un son. Deux ou trois notes. Il ne les lâche plus. Les mâchoires serrées, il n’est plus qu’un corps de larmes. Rien ne vient. Tout gronde. Suspendu aux mots. A ses maux. Tel un volcan en ébullition, les fils se tordent, les muscles explosent. Les coups frappés sur le sol au rythme de ses arabesques multiformes et tribales commencent à percer la douleur profonde. Cathartiques, les mots, les sons, la danse et la mort, qu’il attend patiemment, parfois avec espoir, surtout sans peur, ne font plus qu’un. Il explose. Et explose sans fin. En boucle. Comme les trois notes. “Heaven’s dreaming / thoughtless thoughts / my friends: We know we’ll be ghosts again”. 5 minutes. 30 minutes. Une heure peut être déjà que plus rien n’existe autour de lui que cette rage qu’il va chercher. Dégueuler. Le casque reste visé. Les yeux toujours fermés. Il pleure. Enfin et san fin. Les larmes se confondent, s’inondent. Il crie, il hurle… “Heaven’s dreaming / thoughtless thoughts, my friends / We know we’ll be ghosts again / Faith is sleeping / lovers in the end / Whisper we’ll be ghosts again”…
Il tombe. Ne se relève pas. Haletant. Il attend que tout cela s’arrête… et il répète…enfin apaisé… « Lovers in the end Whisper we’ll be ghosts again… »…
Couché, il pose les yeux, qu’il vient d’ouvrir, sur l’écran. 1h du matin. Un message. « Je voulais être la première à te le souhaiter »… Il se lève… Il sourit… Il espérait aussi qu’elle soit la première… “Lovers in the end Whisper we’ll be ghosts again” …
Une cigarette aux lèvres, elle termine son message. Dans son long manteau noir, elle pose son regard sur la fenêtre. Elle a aperçu sa silhouette. Elle a hésité à l’appeler. A lui dire qu’elle était en bas… elle sait qu’elle est la première… Elle imagine son sourire… elle termine sa cigarette… en prend une autre… elle regarde une dernière fois… pour la centième fois… dans la nuit, quelques chats s’arrêtent, observent et écoutent les pas de ses bottes marteler la rue déserte… « Lovers in the end Whisper we’ll be ghosts again » résonne… encore et encore…}