[Parenthèse 4… ]
{La pluie avait cessé de tomber. Un coin de ciel bleu essayait de se dessiner dans les contreforts de la vallée. Ses pas, rapides et fluides, s’imprégnaient de la chaleur de son corps. Quelques animaux l’observaient. Les yeux perçants, ils se demandaient ce que ce corps venait chercher dans la boue et les feuilles jonchées sur les sentiers escarpés de ce chemin, emprunté très occasionnellement par des randonneurs chevronnés.
Les nuages, écartelés par un soleil nourrissant, envahissant, s’invitaient dans une sarabande échevelée, presque organisée pour un dernier sursaut apocalyptique. Une dernière secousse. Un dernier hennissement. Leur fin annoncée.
Les genoux pliés, la gourde accrochée à son sac légèrement trop peu harnaché, il continue sa route, insensible aux bruits toujours plus présents autour de lui, s’enfonçant dans des sentiers de plus en plus étroits, guidé par sa seule respiration, inverse de cette nervosité apparente que tout son physique laisse transparaître en cet instant.
Régulière, profonde, elle irrigue chaque parcelle de son cerveau et de son âme. Esseulé, il sourit intérieurement de cette cavalcade maitrisée. Il sait qu’il vole au-dessus des terres embourbées de ces paysages magnifiés par les couleurs ravivées d’un printemps hésitant entre pluie diluvienne et chaleur asséchée. Il a coupé toute possibilité de le déranger. Personne ne sait qu’il martèle, délicatement, les terres schisteuses de cet écrin noir qu’il aimait parcourir maintenant depuis quelques années déjà.
En s’enfonçant dans les épineux géants qui l’avalent à chaque pas, il sait très bien qu’il n’y aura pas d’oubli, ni de rédemption. Il laisse cela à ses prières, quotidiennes, qu’il distille au vent épais des sombres tentacules de son esprit. Son âme, brouillée, n’est plus à sauver, même dieu ne peut réellement en faire quelque chose. Il ne croit plus qu’à un salut venant du plus profond de la Terre. Celle que les hommes parcourent en leur sein, qui les irrigue, les abreuve, celle que les incantations lunaires approchent, dans les transes des danses intérieures, épuisant les corps des larmes qui coulent indéfiniment depuis la nuit des temps.
Derrière un bosquet, un animal le suit. Happé par le son réconfortant de l’air qui s’enfonce dans ses narines écartées par l’effort, il n’entend pas les bruits de plus en plus proches des pattes qui brisent régulièrement les bois humides, laissant s’échapper les volutes de fumées blanches au contact des quelques rayons de soleil qui tentent, dans cette chaleur humide, de sécher leur écorce abîmée.
Pendant que le soleil a définitivement pris en otage le ciel azuré, et que dans bien des endroits, des bières et des shorts délavés se congratulent en accouchant de baisers et de regards en forme de tromperies assumées, il pose sa main sur le museau de l’animal qui a emprunté son pas, de plus en plus mesuré. Derrière eux, plus rien ne bouge. Les animaux contemplent ces deux êtres familiers, engoncés dans leur solitude acceptée. Loin des tumultes de leurs contemporains, ils continuent de s’enfoncer, libérés des certitudes et des angoisses mortifères que leurs congénères obligent à accepter, au moins le temps de leurs pas, et de ces heures, lointaines, qui les rapprochent, un peu plus chaque fois, de la fin de ce monde-là. Ils se regardent, un court instant. Ils s’ébrouent, chacun à leur façon. Il lèche sa main. Il lui sourit. Dans leurs yeux, les rongeurs, attablés, auront noté la tristesse habitée qui les rongeait depuis sans doute une éternité.}