22 janvier

La pluie s’intensifiait depuis quelques heures déjà. Sombres, les nuages défilaient sans fin dans un ciel chargé, munitions naturelles qui s’abattaient dans les ruelles des villes d’Europe depuis quelques jours déjà. Bruxelles n’était pas épargnée. Plus rien ne pouvait l’être.

Couché sur son lit, il observait ce ballet macabre depuis l’interstice laissé par les tentures noires de sa fenêtre. Son jeans, légèrement froissé par les circonvolutions de sa jambe dans l’air devenu moins respirable chaque seconde qui passe, l’habillait partiellement. Son corps, nu à moitié, laissait entrevoir une sorte de folie à le sculpter, sans autre raison que le transformer ou le bouger calmait son esprit, ou peut être son âme. Il ne le savait plus.  « Dark Parts » s’insinuait inlassablement dans son esprit, la beauté magnifiée des arrangements de Perfume Genius, la voix accordée aux tréfonds qu’il rejoignait inlassablement depuis quelques temps déjà. Le cigarillo se consumait, seul, sur un coin de sa table de chevet, atténué dans sa sécheresse par l’odeur acidulée de l’eucalyptus qu’il avait juste eu le temps de poser dans son diffuseur, souvenir lointain d’un voyage d’un autre temps.

Dehors, quelques oiseaux essayent tant bien que mal de se calfeutrer en dessous de branches d’arbres, les feuilles étant au mieux un cache misère qu’un loup aurait tôt fait de souffler dans une respiration funeste. Dieu seul savait où se trouvait le troisième cochon. Les mêmes cris arrivaient inlassablement à ses oreilles. Était-ce dehors ? Peut-être un chat, de ces petits corps sortent des sons parfois qui ressemblent au crépuscule des hommes, une gamme appelant l’autre. Ou simplement son cerveau, calciné par l’alchimie tortueuse qui encombre chaque parcelle de sa peau. « What does it mean to be free » a pris le relais. Tout au fond, ce cuivre qui retentit, il s’abandonne. Il esquisse un sourire, pendant que ses yeux indiquent sa peine. Il se souvient le jour où il s’est imprégné de Thomas Azier. Cette distance chaleureuse qui évoque pour lui les chevauchées tumultueuses qu’il entreprend sur le fil tendu de sa vie. Se fracasser.

Dans ce chaos intérieur, que la société lui rendait pour coup pour coup, le loup n’avait pas complètement fini de souffler. La troisième est en pierre. Ce qui n’était pas attendu, c’est qu’il utilise une masse. Personne ne raconte cette histoire-là, cachée. Inlassablement, le bruit, dans une séquence régulière, frappe, cogne, use.

Le bras ballant, la vue un peu chargée, de moins en moins claire, il observe cet ours le regarder depuis son biceps droit. Les coups portés, en fait de voisins qui demandent qu’ils baissent les accords taciturne de Chris Isaak, redoublent d’intensité. Des courbes noires de l’ours, qui cavalcade subitement, il entrevoit ce fil tendu, le pied qui glisse. Pendant la chute interminable qu’il ressent, la pluie coule inlassablement dans les égouttoirs qui débordent. Quelques rats s’adonnent à des jeux de pistes sans fin à la lumière des déchets déversés par les trombes d’eau. « Long Live the Strange », pendant que la tâche rouge s’insinue dans les sillons légèrement creusés du plancher. Métronome, le sang s’écoule lentement… les volutes s’envolent… enfin…

Il ouvre les yeux. Quelques gouttes de sueurs sur le front, la chemise trempée. Anjali dort, là, à quelques centimètres de lui. Le regard posé sur elle, il se calme. Il retire sa chemise. Il se lève. Sous la douche, il regarde son corps. Vieilli. Les mains posées contre le mur, l’eau coule sur sa nuque, les yeux tournés vers cet ours. Le regard perçant, profond. Il continue son chemin. Il sent deux mains se poser sur ses hanches… Elle pose sa tête sur son dos… Métronome, le sang s’écoule, toujours aussi lentement… il irrigue… elle respire…

{N’ayez pas honte de tomber… peut être même de se fracasser… les blessures… les cicatrices… nos corps… nos âmes…profondément… aimer…}