13 novembre

Il n’y avait plus un bruit aux alentours. Assis, il prit d’un geste précis, lent et mesuré le bout de sa cigarette roulée, embaumée par les flux de CBD. Ses pieds, dont les ongles étaient soit enlevés ou immaculés de sang, posés sur le bord de la rambarde, impulsaient une courbe tendue dont les muscles de ses jambes, secs, galbés, légèrement halés, donnaient l’impression, au loin, qu’ils allaient pouvoir lui permettre de s’envoler. Loin.

Sous son œil, si elle s’était approchée, elle aurait pu voir quelques marques fissurées qui commençaient à s’incruster, inlassablement, sur son visage. La cigarette posée sur les lèvres, il regarde se consumer le papier, les filaments rouges se transformant, dans sa tête, en volutes blanches maîtrisées. Une autre façon de concevoir le cercle de la vie. Il sent. Au sens propre comme figuré. Son t-shirt est imprégné de sueur. Les baskets sont toujours là, à demi ramassées, jetées, loin. Toujours loin. Elles l’épient. Son torse, dans un mouvement lent de va et vient, se gonfle, autant d’orgueil d’avoir explosé ses foulées que de chercher à calmer la petite douleur qui l’étreint chaque matin, et se dégonfle, laissant ses pensées les plus sombres s’évaporer au rythme des fumées qui s’échappent de sa bouche en feu.

La baie ouverte donnant sur le salon laisse échapper les notes de « A Small Measure of Peace », le temps ne s’écoule plus. Il regarde. Devant lui, sans plus bouger. Juste ce mouvement. Il regarde. Tout est figé. Aérien. 5 minutes 11 secondes. il écoute. Les frissons qui s’invitent et parcourent son corps résonnent comme un vieux réflexe pavlovien. Les notes se déploient, 2 minutes et 48 secondes où chaque minuscule parcelle de son âme s’imprègne dans son corps, où les rêves les plus doux accompagnent l’absence, où 168 secondes permettent de se détacher et d’aller fouiller et remuer la pureté crasse qui s’enlise dans le quotidien des tâches.

Dehors, au-delà de leur maison, quelques piquets de grèves essaiment dans le pays. Voire dans le monde. Un peu les mêmes mouvements que dans les livres de cet auteur français du 19e siècle, Zola. Ou que ceux de la Grande Dépression dans les années 1930 suite au krach boursier. Ou encore les mouvements ouvriers des mineurs en 1984 et 1985 sous la ministre britannique Margaret Thatcher. Ou plus récemment, les mouvements européens de 2022 et 2023, terminés dans le chaos d’élections qui ont mis au pouvoir des  gouvernements d’extrême droite dans la plupart des pays européens, voire mondiaux. La (ou le) fureur. La Terre, les femmes et les hommes se meurent, depuis 21 siècle et plus encore, dans le tourbillon de leur répétition. L’évolution.

Détaché, il retire son T-shirt, va chercher ses baskets, jette les restes de la cigarette dans le cendrier népalais que des ami.es bien intentionnés lui ont offert un soir d’été, un peu éméchés. « Beginning and Ending ». Il ne sourit pas. Pourtant. En passant devant la chambre, il s’arrête. Elle dort. Son ventre rond l’oblige à se mettre sur le côté. Elle n’a pas esquissé un seul mouvement. La beauté de ses traits, la grâce de ce corps qui semble muter, se transformer, le laisse chaque jour davantage sans voix, permettant de s’éveiller et de s’en aller. Loin. Lissandro l’observe. Ce mouvement lent, il l’écoute. Il n’entend plus que cela, le léger brassage cristallin de l’air qui s’échappe et qui happe. Il s’adapte. Le temps de se l’approprier. Ses yeux sourient, et dans le fond du plus profond de son être, quelques mots lui échappent : « C’est donc cela la vie…. Respirer » …

{Prenez soin de vous… et des personnes que vous aimez… des âmes… chaque seconde… respirer… }