[Parenthèse 8… ]
{ « Les notes s’échappaient de l’enceinte, « On the Nature of Daylight » égrenait sa douceur passagère, libérant la tension qui pouvait s’immiscer parfois au-dessus de son maxillaire gauche. Max Richter avait été de toutes ses aventures depuis sa découverte magnifiée dans « The Leftovers » qu’il avait sans doute regardé plus d’une dizaine de fois, s’identifiant chaque fois un peu plus au personnage principal.
Le regard apaisé, il laissait s’écouler l’instant. Les années étaient passées, il ne les avait pas complètement comprises, ni parfois aimées. Des moments précis surgissaient. Un « Roxanne » chanté, une bière levée, avec les sourires d’être aimés à ses côtés, dans un de ces moments de réjouissance qu’il avait chaque fois vécu pleinement. Il avait peu d’ami.es. Dans son monde, traversé par les sensations intérieures d’une intensité apocalyptique, rencontrer, même dans l’amitié, c’était se livrer, épure diaphane d’une résurrection christique parfois diabolique.
Pleinement, c’était sans doute cela son problème. Tout avait toujours été plein, comme si chaque parcelle de ce qui se vivait pénétrait la plus petite des petites parties de son corps et de son âme. Rien n’était indifférent. Les murs construits pour se barricader de ses émotions galvanisées n’étaient que les leurres d’une vie qu’il avait essayée de maîtriser.
« On the Nature of Daylight » continue sa danse, les violons approchant doucement du moment de fusion entre la capacité de garder ses larmes retranchées dans les profondeurs de son âme ou la brutalité organique d’un volcan de pleurs cathartique d’un chemin façonné au gré de la volonté de ne pas s’effondrer complètement.
« Mercy ». Il sourit, laissant toujours les minutes s’envoler. Il voit les corps, les mains, les regards des yeux qu’il a pénétré, parfois, dans les petits matins, au moment où encore fatigués, les caresses se laissent, virevoltantes et enivrantes, apprivoisées de la douceur légèrement bestiale des corps retrouvés. Cela faisait bien longtemps maintenant qu’il avait abandonné cette sensation-là. Les ballets, il les retrouvait dans la musicalité des mots qu’il lisait, au gré des envies de se nourrir pour ne pas périr. Il avait décidé de porter sereinement, seul, sa souffrance et sa paix intérieure aussi, deux faces d’une même entité pour lui, ce qu’il avait enfin accepté après des années de thérapie. L’ancrage pouvait prendre des formes multiples et singulières.
« Vladimir’s blues ». Il ferme les yeux. 1minute 29 secondes d’images des enfants. Des tournois, des balades, des films au cinéma, des travaux à corriger, des rires de photos partagées, des câlins dans le canapé à consoler la méchanceté de l’altérité, qui dans un autre canapé dans une autre maisonnée se fait consoler aussi pour la même méchanceté, des amours à accepter, à accompagner, des défaites à transformer en victoire, décevoir, encore et toujours pour rendre les choses humaines, accompagner. Il avait essayé, avec ce qu’il avait trouvé et partagé sur son chemin. Le reste, cela leur appartenait. « Ils ne nous doivent rien », aimait-il se répéter
« The Departure ». Le son commence à être un peu voilé. Le temps, infini, le ramène à sa condition de finitude, philosophique, organique. Les images, confuses au départ, se dessinent, ligne claire. Sa peau. Ses cheveux, caressant son épaule dénudée. Quelques volutes. Un verre. Ou peut-être deux. Les conversations, intenses, nu.es sur les matelas posés là. Des pieds qui se joignent, l’un sur l’autre. Une main qui effleure un dos. Et l’écho de leur mot… Il ne perçoit plus vraiment les sons. Juste quelques voix. « Now I’m not looking for absolution / forgiveness for the things I do / But before you come to any conclusions / Try walking in my shoes / Try walking in my shoes /… / my intentions couldn’t have been purer / my case is easy to see…”
Le lendemain, alors que sa fille venait lui rendre visite, accompagnée de son compagnon du moment, elle ne comprit pas de suite. Couché dans le canapé, il semblait dormir. Elle avait bien noté en rentrant que le son de sa musique allait un peu fort. Elle avait même esquissé un sourire en entendant « walking in my shoes ». C’est lui qui s’arrêta. Elle comprit alors. Elle vint s’asseoir à côté de lui. Prendre sa main. Posa un baiser sur son front. Apaisée, elle prit son téléphone. Avant d’appeler ses frères, elle appela sa mère, qui après avoir raccroché, en allant se poser sur la chaise de sa terrasse, un café à la main, son mari la regardant, comprenant ce qui se jouait là, elle essayait déjà de se souvenir de sa voix ce jour-là… »
5h30. Vêtu de son t-shirt noir longue manche, un longhi noué autour de la taille, il ferme délicatement son mac. Installé sous le porche, avec une tasse de thé à moitié vidée, il reste assis, les jambes allongées, en regardant le soleil se lever doucement. Il a posé son casque sur la table, où trône encore quelques restes de ce qu’il a avalé au cours de sa nuit. Il pense au moment où il enverra le texte définitif de son roman qu’il vient de terminer à l’instant. Son éditrice lui dira certainement qu’il exagère passablement sur les aspects cathartiques et la collision parfois frontale entre rédemption et acceptation. Il sourira, et lui dira que c’est comme cela, comme d’habitude. Il gratte sa barbe. Il rigole. Il se lève, déployant l’ensemble d’un corps légèrement vieillissant, les muscles répondant à l’appel de sa tête de goûter un café qui lui semblait amplement mérité. Installé devant la machine, l’odeur emplissant la cuisine, il n’a pas senti tout de suite ses mains se poser sur ses hanches, pour ensuite encercler sa taille. Il se retourne. Lumineuse, il la regarde, les yeux amoureux. Elle rigole, prend son visage dans ses mains… Comme de nombreux matins, le reste leur appartient…}
[ Pâques… la vie… la mort… Aimer… toujours Aimer… s’ancrer… jouir… ]