Archives mensuelles : avril 2023

30 avril

[Parenthèse 11… ]

{Elle avait enfilé ses baskets. Elle aimait les trois bandes, cela lui rappelait des souvenirs d’enfance un peu perdus. Elle s’était mise à brosser ses longs cheveux. Au fil des années, les perles grises s’étaient invitées doucement à se marier avec la couleur auburn qui dessinait sa toison. Aujourd’hui, elle laisse aller la nature à la marquer du sceau du temps qui s’effile, tissant les secondes en des colliers de souvenirs aimés, détestés, parfois joués.

L’odeur du café avait empli la pièce. Elle se sert une tasse dans un écrin italien, qu’elle avait ramené d’un périple aux quatre coins de ce pays pas si lointain. Son jeans laissait entrevoir qu’elle continuait à entretenir un corps qui avait parfois été maltraité et qu’elle avait appris à aimer tardivement. Elle prend le cadre qui se trouve devant elle. Son mari la regarde. Pas là dans la pièce, non. Juste là sur cette photo prise un soir d’été chez des ami.es, qui n’avaient ce nom que le temps de quelques années, puis ils s’en étaient allés, remplacés par d’autres au gré des aventures qu’ils avaient décidé de vivre. Juste là, elle pense qu’il doit encore dormir, il est rentré tard hier. Elle lui laisse un mot, sur le tableau noir qui pend à côté du miroir à l’entrée : « Je pars faire un tour. Il fait beau. Ne m’attends pas. Je t’aime… »

Elle prend son sac. N’oublie pas d’y jeter son briquet, quelques cigarettes et autres. Elle se regarde une dernière fois dans le miroir. Son reflet. Celui du temps. Elle a fêté ses 55 ans il y a un mois déjà. La porte claque.

Dans le bus qui l’amène là-bas, elle écoute cette playlist qui vient de l’au-delà. Elle se laisse bercer par ses pensées et les aléas des pieds qui se frôlent, des regards qui n’en sont pas, des voix qui hurlent un ton plus bas pour s’entendre dire que ce n’est pas à cet endroit, des mains qui tremblent d’histoires qui s’incrustent en soi, des rires qui s’envolent comme des oiseaux fâchés d’être restés à quai le temps d’un hiver trop froid. 

Descendue, elle marche d’un bon pas. Elle garde ses écouteurs. Elle n’avait pas noté à côté d’elle, dans cette rue qui mène là où elle va, deux ou trois jeunes adultes qui s’époumonnaient à se livrer à des combats pour une course effrénée, celle d’un temps qui ne vit qu’un instant. Si elle les avait arrêtés, elle leurs aurait certainement dit de décélérer et de jouir, sans s’arrêter. Jouir. Arrivée à l’entrée, elle jette un sourire apaisé au gardien. Il la salue. Il avait noté la date, comme chaque année. 

Postée devant, elle prit le temps, comme elle le fait depuis dix ans maintenant. Elle ferme les yeux, sent ses mains posées sur ses seins, leurs corps qui se frôlent, son rire tonitruant, les discussions sans fin sur la fin, les promesses, les caresses. Puis tout le reste. Leurs conjoints respectifs. Leurs vies. Les familles. Les ami.es. Le poids de ce qui est. La vie qui n’avait finalement pas laissé le temps. Bégnine, en un an et elle était maligne. Elle sent son odeur…. D’un geste, elle dépose une lettre qui se termine par ces mots : « Je t’aime et te retrouverai là où tu m’attends déjà »

Dans son lit, il/elle se retourne. Il sait qu’elle est là-bas. Elle s’est levée, laissant les draps défaits. Elle prend son smartphone, lui envoie un message : « Merci pour hier soir… Elle est là-bas déjà, non ? Tu vas lui dire quand ?». Il y pense depuis quelques semaines. Aujourd’hui, il n’a pas le choix. « Ce soir, je serai dans tes bras. Surtout, quand tu te lèveras, je serai toujours là », et dans un même élan, deux « je t’aime » se croisent, fébrilement, comme depuis 2 ans maintenant.

Sur un banc, deux adolescent.es s’embrassent, laissant les corps fragiles s’immerger pleinement dans cette fameuse histoire humaine parfois bancale, ou déloyale, souvent intense, ou dense, peut-être larmoyante, ou souriante… pour certaine immortelle, ou éternelle, sans oublier charnelle… à cet instant, ils ne savent pas… Ils s’en foutent…  Ils s‘aiment, tout simplement…}

[ Quelques chemins…l’amour…]