02 avril

[Parenthèse 7… ]

{En marchant dans les rues animées de cette petite ville balnéaire, son visage doucement fouetté par un vent partiellement rafraichissant dans la chaleur montante des corps qui se frôlent, esquisse d’un ballet vivant, chorégraphie mimétique des films de Demy ou Chazelle, il se figurait qu’il avait arpenté bien des trottoirs et des chemins au son de ses seuls pas depuis quelques années déjà. 

Au fur et à mesure des saisons qui passaient, les enfants s’en étaient allés, le laissant à la découverte de plus en plus marquée d’une vie solitaire, qu’il ne refusait pas, voire même qu’il embrassait avec une certaine envie. Il ne servait à rien, d’après lui, de forcer sa nature. Sans être bourru, il n’avait pas de sympathie particulière à aller chercher les contacts, et les poussières du temps lui avaient donné assez d’assise pour apprécier chaque chose en ne les partageant qu’avec les voix qui lui parvenaient. Quelques ami.es, la famille, une certaine idée d’un dieu ou de forces présentes suffisaient à prolonger chaque jour les battements continus de son cœur irriguant les différentes parties d’un corps qu’il soignait avec plus de délicatesse que dans sa jeunesse, suffisamment pour que l’élégance un peu désuète d’un charme vieillissant lui permette d’avoir, de temps à autre, un regard plutôt plaisant quand il s’installait sur les terrasses des cafés qu’il s’appropriait, le temps d’observer ses contemporains ou de se plonger dans les structures fulgurantes d’histoires d’amour dans des mondes dystopiques, figurant le présent avec une acuité qui l’avait toujours sidéré.

Quand il avait choisi de s’installer dans cette petite cité pour les quelques semaines à venir, le temps de ces jours de vacances, éloigné du bruit quasi esclavagiste d’un travail qu’il accomplissait de plus en plus difficilement, il avait pris soin de ne prévenir personne, comme à chaque fois depuis maintenant 6 ans. Du moins, il ne laissait à Jonathan, son ami, certains disaient son frère au fil des ans, que quelques indices. Celui-ci prenait alors un plaisir non fin à essayer de le retrouver. Ces deux dernières années, il n’y était pas arrivé. Cela faisait leur joie, un peu particulière aux yeux de leurs enfants et de leurs cercles proches. Ils en rigolaient. Pour lui, il y avait un plaisir à croiser les endroits où il irait déposer son corps et des parcelles de son âme avec des chansons, des concerts à venir, des étapes de courses cyclistes ou des scènes de films, voire des figures politiques ou sociales sous forme d’indices épars. Pour son ami, la possibilité de continuer à enfourcher sa moto ou son vélo, au gré des routes et des villages, à découvrir des espaces encore inconnus et le plaisir coupable de mener une traversée où finalement l’intérêt porte plus sur sa propre liberté au regard de leur amitié, et sur le temps qui passe inexorablement. Pour l’un comme pour l’autre, il n’y avait là qu’une manière de se confier l’un à l’autre que leur confiance réciproque n’avait pas besoin nécessairement de se matérialiser.

En rentrant à la petite villa très chic qu’il avait loué le long de la côte, un peu esseulée mais pas trop éloignée non plus des chemins menant à la civilisation présente, il n’imaginait pas qu’elle l’attendait sur le perron, installée sur la chaise longue, un chapeau sur la tête pour la protéger un peu plus du soleil qui avait déjà marqué son visage. Il y a quelques jours, au croisement d’une ruelle, elle avait rencontré Jonathan. Ils se connaissaient peu. Il n’y avait pas d’animosité entre eux, juste qu’ils n’étaient pas de la même planète et que leur seul point de rencontre, c’était lui. Toutefois, de manière très directe, elle lui avait demandé s’il l’avait vu récemment. Cela faisait maintenant 6 ans qu’ils ne s’étaient plus envoyés un signe, même plus donnés de nouvelles. La vie avait fini par faire son chemin, du moins, c’était le discours officiel, celui qui empêche les questions de tomber. Sans savoir pourquoi, Jonathan lui avait répondu qu’il se trouvait sans doute sur la côte ouest de la France, à priori à Saint-Jean de Monts, expliquant leur jeu. Elle avait souri. Il avait juste ajouté, avant de s’en aller : « Il y est seul, comme depuis 6 ans, tu sais… »

En arrivant, accompagné du chien du voisin et des odeurs de barbecues lancés depuis quelques heures déjà, il avait noté que quelqu’un s’était installé. Au plus il avançait, au plus ses pas se faisaient fragiles. Il l’avait reconnue. Il n’y avait qu’elle qui pouvait s’installer avec une telle élégance, bohème de la fragilité, les cheveux tombant délicatement sur ses épaules enveloppées dans son châle aux couleurs bigarrées. Elle posa le livre qu’elle avait entre les mains, celui qu’il avait laissé sur la table du perron. Il était déjà là, en face d’elle. Sans poser de questions, elle lui prit la main. Il déposa un baiser sur ses lèvres. Personne ne sait combien de temps cela a duré. Pour eux, l’éternité…}

[ Rêver…]