26 février

[Parenthèse 2… ]

{6h32. Cela fait déjà plusieurs minutes qu’il a les yeux ouverts. Il regarde le plafond. Puis l’heure. Les draps à moitié relevés sur son corps un peu abîmé, il écoute le silence prolongé de la nuit qu’il vient de passer. Par un petit geste anodin, quasi ritualisé, il pose son doigt sur son smartphone, pianote quelques instants, s’arrête, ayant trouvé les notes dont il veut s’imprégner. Des enceintes éloignées de quelques mètres de son lit défait par les soubresauts ponctuels du sommeil habité avec lequel il convole depuis tant d’années s’envolent les premiers sons. Gregory Porter. « When Love Was King ». La voix chaude se pose délicatement. Il ferme les yeux. Son corps se détend. 6h40. Peu à peu, il délie les muscles et la voix, même s’il n’a pas encore ouvert la bouche. Seul. Les enfants sont chez leur mère. A l’intérieur de sa tête, il murmure les paroles de la chanson qui s’est enchaînée, fondue. « La baie ». Etienne Daho. Elle résonne délicatement. L’élégance, c’est une denrée qu’il cultive. Il a ses dieux. Il sent que sous son air calme, et les mantras qu’il se répète depuis hier soir, la nervosité grandit. Plus qu’une paire d’heures. Dans la salle de bain, il prend un temps minutieux à laisser couler l’eau sur son crâne. Chaque goutte dévale tout le long, s’imprégnant dans les recoins de certains de ses endroits tatoués. Il sourit, enfin. 7h25. Il a mis un soin particulier à choisir une chemise, puis une autre. Il est allé se regarder, une fois, puis deux. Il doit être à son trentième aller-retour. Dans le miroir, il ne voit plus que ses défauts. Il souffle. Au loin, mais ses voisins diraient certainement que cela n’avait jamais été aussi fort, il entend James Blake décliner « Say What You Will » à l’envi. 8h20. La porte se ferme derrière lui…    

6H45. Cela fait déjà plusieurs minutes qu’elle a les yeux ouverts. Elle s’est levée. Elle a regardé son smartphone. Pas de message. Elle hésite. Elle le dépose, va ouvrir ses rideaux. Le soleil perce délicatement. Elle imagine le froid en regardant les quelques oiseaux qui se sont posés sur son balcon. Nerveuse, sans trop l’être, elle se dirige vers la salle de bain. Il n’y a pas un bruit. Ses enfants dorment encore. De l’extérieur, des anges auraient pu dire qu’elle semblait flotter légèrement au-dessus du sol. La gestuelle fluide, elle laisse une perception solaire. La douceur et l’espièglerie s’incarnaient dans un seul et même être. Sous sa douche, elle se laisse bercer par la chaleur retrouvée. Non pas celle de l’eau qui enveloppe chaque parcelle de sa peau, jusqu’au plus profond de ses pores. Celle des sensations. Les palpitations. Encore légères. Présentes. Humaines. Elle ouvre les yeux. 7h25. Elle sourit. Elle imagine. Elle reconstruit le fil de ces derniers jours. Surprise. Tant par elle que par lui. Ou par ce que certain appelle la vie. Elle sait ce qu’elle va mettre. Du moins le pensait-elle. Les vêtements s’entassent les uns sur les autres. Finalement, elle revient à ce qu’elle avait pensé. Elle se regarde. Le miroir pose ses reflets. Confiante, du moins elle se le dit régulièrement depuis quelques minutes, elle voit surtout les années qui sont passées. Sans complaisance. Avec amour aussi. Elle se sent belle, et se dit, en entendant son alarme sonner pour lui rappeler qu’elle doit s’en aller, que c’est le plus important finalement. 8h25. La porte se ferme derrière elle…

Dans le coin de ce café cosy, où les laptops et les macchiato se mêlent aux rires d’adolescent.es et d’indépendant.es dans un bruit léger d’envie d’être et parfois de paraître, leurs yeux se parlent, leurs mains posées, encore un peu maladroites, cherchent à se toucher. Elle était arrivée la première. Soulagée, elle n’avait pas imaginé comment ils allaient se saluer. Elle avait noté une table dans un coin un peu reculé, sans être non plus trop esseulé. La musique, un combo d’électronique suffisamment calme tout en étant rythmée, permettait de ne pas trop penser. Il était arrivé 5 minutes plus tard. En fait, il l’avait vue entrer. Un peu bêtement, il l’avait regardée choisir la place, se poser, retirer le bonnet qu’elle portait avec une beauté douce qu’elle dégageait naturellement. A cet instant, il avait poussé la porte…

10h16. Sur un coin de la rue jouxtant le café, deux jeunes hommes, main dans la main, regardent discrètement, en souriant, cette femme et cet homme se regarder, infiniment, et dans un instant encore mal maitrisé, poser un baiser… }

{ les âmes…les chemins…profondément…}