[Parenthèse 10… ]
{Le soleil dardait ses rayons sur la toiture de sa maison depuis le début de l’après-midi. En rentrant du travail, la chaleur amplifiait le sentiment de solitude qu’elle avait ressenti en insérant la clef dans la serrure de la porte. Ses enfants étaient chez leur père. Ils venaient de changer le système de garde. 15 jours la séparaient maintenant de ses enfants. Ils étaient grands. Ce n’était qu’un aperçu de la vie d’ici quelques années. Elle avait jeté son sac dans le canapé, retiré délicatement son chemisier, et elle s’en allait tranquillement vers la salle de bain. 18h10. Dans une grosse demi-heure, elle allait retrouver ses ami.es. Le temps de se poser, se changer, se laisser aller. Elle aimerait parfois pouvoir pleurer, juste comme cela. Pas qu’elle soit triste ou fatiguée. Juste se laisser aller…
18h45. La sonnette retentit. Elle se dit qu’elle devrait la changer, à peu près comme à chaque fois qu’elle retentit. Elle sait pourquoi. Elle imagine qu’il rentrera. Ce rituel de merde qu’il avait et qui la faisait craquer à chaque fois parce qu’il surgissait derrière cette putain de porte en claquant « je suis là… tout à toi ». 20 ans de « tout à toi… ». Puis finalement « tu n’es plus là » …. Ils sont là. Ils l’attendent devant chez elle. Elle rit. Ils sourient. Elle recule d’un pas. Ils ont invité d’autres personnes qu’elle ne connaît pas. C’est pas son truc à Alexandra. Elle pensait juste qu’ils profiteraient ensemble de ce concert qu’ils attendaient depuis quelques mois déjà.
20h45. La salle. Le noir qui s’installe. Les premiers sons. La déflagration. Sans y prêter attention, les corps s’invitent dans une contagion maladive, expressive. Alexandra s’ébat, se débat, stroboscopiques, les gestes se déchirent dans l’air, décrivant les arabesques dantesques d’une danse tribale, parfois bancale. Seul.es, ils s’élancent, répondant aux autres courbes telluriques des guitares stratosphériques, des lumières binaires, des sons programmatiques. Saccadés, la respiration oxygène les pores des muscles transpirants, dégoulinants. Au creux de ce déluge sonore, physique, quasi tribal, elle sent les corps de ses am.ies se déhancher, se déchainer, s’époumoner. Les voix s’élèvent, répondant aux chants épiques du frontman de leur groupe historique.
21h30. Théo s’était extirpé. Il rigolait, seul dans son univers. Entourés de ses ami.es, cela faisait maintenant quasi une petite heure qu’ils dansaient, s’époumonaient, crachant aveuglément les années qui aujourd’hui ne semblaient pas atteindre leur dignité. Observant les corps se frôler, il ne pouvait que constater qu’invariablement ses yeux se posaient là-bas, sur le visage d’Alexandra.
22h05. Elle se demande s’il est toujours là. Des ami.es de ses ami.es qu’elle ne connaissait pas, elle avait de suite sentie que là, il y avait matière à… elle ne savait pas vraiment quoi. Cela faisait tellement longtemps qu’elle n’avait plus participé à ces moments-là qu’elle n’avait plus trop idée de ce qui se faisait ou pas. Elle avait échangé quelques mots sur le trajet. Doux, il semblait apprécier les quelques notes qu’ils avaient joué à cet instant, même si, par pudeur ou peur, ils avaient été dans la retenue d’une logorrhée qui auraient pu être plus soutenue, tant leur main et leurs yeux disaient tant et tant de « pourquoi pas… »
22h45. Vidée, exténuée, elle sort de la salle. Une main vient se poser. Puis les sons des voix. Une dernière bière au bar. Il est bien là. Il lui sourit, tant que ses yeux gris bleu lui dégaine doucement « je te veux, toi », et dans les silences bruyants de cet espace choral, elle se laisse aller…à essayer d’aimer…}
[ De la douceur…]