[Parenthèse 13… ]
{Le ciel bleu laissait entrevoir de légères parcelles évanescentes blanches. Si on se laissait aller, les embruns de la mer toute proche pouvaient donner à l’air des touches parsemées d’une douceur légèrement humide. Les peaux à la terrasse du café s’en délectaient, humant les odeurs poussiéreuses des quelques bateaux qui restaient à quai.
Depuis trois semaines, il venait tous les jours s’installer vers 15H35. La peau halée, juste suffisamment, attirant quelques regards, il laissait transparaître une forme de timidité assumée. Les serveurs et serveuses le regardaient d’un air amusé, parfois tenté aussi, les un.es et les autres l’auraient sans doute bien croqué. Toutes et tous l’avaient croisé au moins une fois sur un des chemins aux alentours, occupé à rouler ou à courir, quand le soleil venait juste paisiblement se faire sentir sur les routes escarpées des falaises balisées.
Il n’en avait pas conscience. Il s’installait toujours du même côté. Les écouteurs dans les oreilles, un ou deux bouquins dans la main, un mac qu’il ouvrait invariablement après avoir commandé un capuccino chantilly. Il était peu disert. Toujours souriant, il avait le regard doux, et si on y regardait de plus près, on pouvait juste déceler une légère tristesse apaisée.
15h15, elle était pressée. Ses ami.es ne comprenaient pas pourquoi depuis maintenant deux semaines elle devait absolument s’échapper de la maison qu’ils avaient louée. Apprêtée, elle prenait avec elle deux ou trois bouquins, son mac et enfourchait son vélo. Ils ne la reverraient plus avant le début de la soirée. Le long des chemins qu’elle survolait, elle se laissait aller à la douceur des rayons, supportant allègrement la chaleur. Déterminée, elle s’inventait des scénarii jusqu’au moment fatidique où elle déposait son vélo sur la place et qu’elle s’installait sur la terrasse. Invariablement, elle ouvrait son bouquin, non sans avoir décalé sa chaise de façon à pouvoir l’observer.
15h32, il bénit son teint. Dans la vie normale, le sang qui se serait agglutiné sur ses joues aurait marqué les sensations que cette femme pouvait lui procurer. Sportive, elle semblait avoir quelque chose de déterminé qui cachait une fragilité qui le touchait. Il avait noté son tatouage sur l’avant-bras droit. Chaque jour, il essayait de se rapprocher. Invariablement, elle venait s’installer à peu près à 4 tablées. Il en avait conclu assez lucidement qu’elle ne souhaitait pas être importunée. De toute façon, il n’aurait jamais rien tenté. Au mieux, un sourire ou un regard qu’il aurait immédiatement camouflé derrière l’écran de son mac qu’il n’ouvrait que pour faire diversion. Chaque matin, dans ses cavalcades, foulant ou écumant les sentiers, il s’inventait des scénarii où ils finissaient en regardant le soleil se coucher, avant d’oser un baiser.
Ce lundi-là, les observant depuis exactement 13 jours, la serveuse, n’en pouvant plus de ce manège amoureux, décida de confronter le destin. En allant le servir, elle déroba un des bouquins qu’il laissait trainer sur la table, qu’elle lui présenta en lui demandant si cet ouvrage était à elle, l’ayant trouvé par terre devant le café. Confus, observant la scène, il dut bien se lever et s’approcher, le cœur en embuscade. Le voyant arriver, son cœur battant la chamade et risquant la dérobade, elle lui proposa un café, qu’il accepta, effleurant sa main en s’asseyant. Il ne remarqua pas son léger sourire à ce moment-là.
En se réveillant le matin, couchés, les corps emmêlés, ils n’avaient pour son que les baisers déposés.… A 15h35, il n’y avait plus de bouquins sur la terrasse du café, juste les sourires de deux cœurs qui s’étaient trouvés…}
[ De la douceur…quelques sourires… ]