14 août

Sous une chaleur supportable, balayée par un vent chaud puissant et enveloppant, Dimitri regardait Anjali au loin, occupée à tisser un sari rouge, bordé de dorures. Il revenait d’un jogging, comme il en faisait tous les deux jours depuis leur retour de Delhi. « Soleil Soleil » dans les oreilles. Le médecin qui s’était occupé de lui, en concertation avec son neurologue en Belgique, avait décidé de le garder deux semaines en observation, d’effectuer un traitement plus contraignant et de lui soumettre un régime d’activités plus spartiate, voir monacal. Il connaissait ce régime. Il l’avait porté intérieurement avant de venir ici, avant de lâcher peu à peu prise, pensant partir plus vite en arrêtant traitements et autres voies physiques et spirituelles. 

Rappelé à la raison, et accompagné par Anjali, il avait écouté avec attention. Il lui restait du temps à vivre, contrairement à ce qu’il pensait ou voulait penser. L’issue était inéluctable, en effet. « Comme nous toutes et tous. Mais nous ne pouvons pas dire quand, et ils nous arrivent de nous tromper. La vie, vous savez… » lui avait dit le médecin, dans un sourire amical. Anjali lui avait pris la main, il avait senti son amour. Pas de ceux qui vous collent peau contre peau. Simplement l’amour. Il avait alors décidé de suivre à nouveau les principes conducteurs d’un allongement de vie. Il ne savait pas trop pourquoi. Peut-être le frémissement et la respiration au moment d’accepter. Toutes les 3 semaines, il devait se rendre au centre hospitalier et évaluer l’état d’avancement dans ce cadre. Vivre. Respirer. Ressentir. Il avait occulté ces 3 mots. Seule Anjali l’avait maintenu. Et peut-être ce chemin vers la Métanoïa et le Samadhi. Les mots « miracle » ou « démoniaque » commençaient à se faufiler doucement dans les regards troublés des personnes qui l’entouraient, ou le connaissaient furtivement comme l’ «étranger d’Anjali ».

En rentrant, il avait rangé ce qui était devenu un taudis. Anjali était venue habiter avec lui. Définitivement. Ses journées se résumaient à méditer, prier, aller courir ou marcher, aider Anjali. Il s’était remis à écrire. Une sorte de roman initiatique, qu’il jugeait durement, tout en confiant à Anjali que rien ne lui faisait plus de bien que ces mots-là. Anjali était d’une beauté douce. Il ne comprenait pas ce qu’elle faisait avec lui. Ils en parlaient souvent. « Tu es un drôle de personnage, Dimitri. Rien que pour tes yeux et ton sourire au matin, quand tu me tends ce chai, que tu ne sais pas faire, cette douceur, que demander de plus dans ce monde, à part un baiser de temps en temps et l’idée, peut être folle, que tu m’étreignes un jour ou un soir, quand tu comprendras… ». A ces mots, surprenant à ses yeux, il n’avait répondu que par un sourire, une main qui se dépose délicatement sur son bras et il s’était dérobé en prétextant qu’il devait aller courir, « comme je dois le faire ». 

Il avait emmené Anjali chaque soir de match. Le gérant de l’hôtel le plus chic de Kovalam était devenu, au fil des mois, une connaissance proche. Chercher l’authenticité nous amène parfois à la trouver dans ce qui s’ancre dans nos préjugés ridicules. Anjali avait ri quand ce joueur belge avait marqué. Dimitri s’était jeté, nu, dans la piscine de l’hôtel. « Putain… les enfants doivent faire une de ses fêtes à Bruxelles »… Le lendemain, à la pensée de ses enfants, de ses ami.es, d’elle… il se demandait comment ils s’en sortaient toutes et tous. Il n’avait aucune crainte. Juste un frisson, qui parcourt subrepticement son échine. Matteo… 

{Prenez soin de vous… et des personnes que vous aimez… des corps… des peaux… des âmes…profondément… intensément… même quand plus rien ne semble possible… }