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04 février 2024

[Parenthèse 29… ]

{ Deux ou trois notes de « Nothing Else Matters » résonnaient dans le creux de son oreille. Il avait dû mettre son appareil auditif un peu plus fort, tout en veillant à ne pas créer un larsen trop important. Le regard encore pétillant, il naviguait depuis l’aube dans son appartement devenu parfois bien trop grand. Il n’avait pas vraiment vu le temps s’émietter et définir les contours d’une vieillesse qu’il n’avait jamais redouté. 

La voix écorchée de Kurt Cobain s’était invitée à prendre la place de celle de James Hetfield, laissant « Dumb » réveiller les souvenirs qui lui encombrent parfois l’esprit, à trop ressasser des moments qui n’étaient de toute façon présents qu’à cet instant. Il avait crû quelques secondes entendre le chien aboyer et venir lui lécher la main, annonçant ses pas des plus délicats, venant finalement l’enserrer tendrement. Il sentait bien qu’il ne voulait plus qu’une chose, humer son odeur et se plonger dans son sourire, retrouver chaque parcelle de son corps et de son être. Il ferme les yeux. 

« You look so Fine » s’enroule dans les méandres de son corps. Il lui prend les mains. Elle rigole. Ses yeux pétillent, ses longs cheveux se posent sur ses épaules, s’enfonçant dans les couleurs de ses vêtements. Il n’a d’yeux que pour elle. Amoureux, il l’invite à quelques pas de danse. Les couleurs de leur nid se percolent et décollent dans un défilé de couleurs et de saveurs. Leurs têtes tournent, vacillent. Leurs lèvres se rencontrent. Leurs corps vivent. Billy Corgan n’a pas idée qu’il s’est invité dans un appartement bruxellois, « 1979 » leur permettant de se rappeler d’un moment où ils se sont enlacés dans un festival d’été. 

Le téléphone sonne. Perdu, il se rend compte qu’il est toujours planté devant la fenêtre du salon. Il évite de penser aux larmes qui ont commencé à couler. Il racle sa gorge. Il décroche : « Papa ? ». Il hésite à répondre. « Oui, ma belle, c’est moi. Tu sais, en appelant ce numéro-là, tu ne risques pas de trouver tes frères ou ta sœur, voir le dalaï-lama », lui dit-il en souriant dans sa voix. « C’est malin », lui répond-elle, enjouée d’entendre qu’il est encore bien là. « On va aller marcher avec les enfants cet après-midi dans les bois. Normalement, tout le monde sera là, même les copains et les copines. Et en parlant de mes frères et de ma soeur, eux aussi seront là, avec toutes les famiglia. On s’est dit que tu serais peut-être partant. Maman et Sébastien ont dit qu’ils nous rejoindraient ». Lenny Kravitz s’entendait au loin, lui permettant de respirer calmement. Il avait toujours aimé cette chanson  « Don’t go and put a bullet in your head ». 

Vers 14h46, les pas des uns et des autres se répondaient joyeusement sur les chemins bien balisés de la forêt que cette bande avait en partie colonisée, les discussions politiques se mêlant aux rires plus fous des pitres habituels. Il y avait les regards timides aussi, de celles et ceux qui doucement semblaient s’inscrire plus durablement dans la vie de certaines ou certains qui composaient une farandole de personnalités diverses et parfois incontrôlées. Il s’était mis un peu en arrière, du moins voulait-il penser que c’était voulu, c’était surtout qu’il devait marcher sans doute plus calmement que d’autres. Ou qu’avant. Il n’avait pas noté qu’une de ses petites-filles s’était approchée, tout en tendresse. Elle vint lui prendre le bras, et en posant sa tête sur son épaule, lui posa tout bas : « tu sais, Papy, elle aurait souri de nous voir ici… »… Il la sera tendrement, légèrement en tremblant… et n’osa pas lui dire qu’il la voyait, marchant à côté de lui, juste là…}

[Prenez infiniment soin de vous…et de ceux que vous aimez… ]