[Parenthèse 12… ]
{Le soleil commençait doucement à s’échapper, il était temps pour lui de trouver un peu d’espace pour pouvoir respirer. Les quelques oiseaux qui avaient pris soin de se calfeutrer sous un peuplier s’invitaient un peu plus les uns les autres à aller se rafraichir à la fontaine toute proche. Sur la place, les parasols faisaient la fête sous des airs de musique parfois endiablés, souvent mélancoliques. L’été, c’est aussi parfois la saudade pour les âmes un peu brisées.
Depuis son arrivée, il y a maintenant quelques mois, elle passait une bonne partie de son temps à venir s’acoquiner avec les vents parfois contraires qui balaient la place, point de convergence des ruelles éparses de cette vieille cité médiévale. Les habitué.es lui avaient rapidement prêtés leurs sourires. Il faut dire qu’elle les donnait généreusement, d’une manière si délicate que même les plus farouches finissaient par lui reconnaître une promptitude à la gentillesse. Ses longs cheveux blonds, qu’elle portait de diverses manières, lui donnaient des airs de Manon. Élancée, personne ne l’avait encore vue se fâcher. Toutefois, ils avaient tous noté sa tristesse quand elle posait le regard sur ses pensées. Il y en avait alors toujours un.e pour se moquer du vieux flibustier qui, du haut de sa fenêtre donnant sur la place, observait d’un air revêche les cœurs s’animer. Elle sortait alors de sa torpeur, clignant des yeux dans un geste assez précieux. Il n’en fallait pas beaucoup plus pour qu’elle leur lance alors quelques sourires rêveurs qui leur donnaient à toutes et tous le sentiment d’exister, au moins quelques secondes d’une vie qui semblait s’achever.
On disait d’elle qu’elle venait de Bruxelles. Elle n’avait jamais démenti, sans jamais confirmer, laissant les jeux d’ombres s’installer. Elle préférait parler peu de ses chemins, laissant les histoires de ses interlocuteurs prendre l’espace qu’ils méritent.
Elle louait un des appartements en contre bas, dans une maison un peu retirée. Ce n’est qu’en plein été que tout est occupé. Là, elle avait profité du calme et de la solitude des soirs et des matins qu’elle s’était imposée. Depuis quelques semaines, avec le flux des touristes, elle s’était employée à aiguiser son sens de l’observation. Elle écoutait les conversations quand, assise sur la place, elle percevait des bribes d’informations. Elle pouvait s’immerger dans les têtes et improviser des histoires toutes faites, juste en entendant un mot, un rire. Elle voyait dans sa tête des milliers de chemins possibles à partir d’une boule de glace tombée par disgrâce sur les pavés encore assommés par la chaleur presque tournante que la petite place pouvait laisser s’évaporer. L’incident était alors le prétexte à échafauder des arbres par milliers, tous menant à des aventures de personnages qui, fantasmés ou incarnés, vivaient des moments d’une tendresse affolante et affolée.
De cet amour, qu’elle possédait par centaines de tonnes et au-delà, elle le dispersa à tout va, jusqu’au jour où elle s’en alla. Elle laissa juste une lettre, à la guinguette. Elle y avait noté ce que personne n’a jamais oublié : « La tristesse s’en est allée, à chaque pas posé ici et là. Je pensais rester ici jusque trépas. Il suffit parfois de venir quelque part, chez soi. La tristesse s’en est allée, je peux enfin m’aimer, et l’accepter… »
Le soleil commençait doucement à s’envoler. Il était temps pour lui de monter, et de monter encore. Il avait pour mission de la retrouver sur les chemins qu’elle avait enfin décider d’emprunter et de l’accompagner, pendant que sur la place, les oiseaux chantaient quelques fados entendus au coin d’une maison, à l’orée de la cité… }
[ De la douceur…]