1h15. Dimitri traîne sa lenteur. Il ne se souvient pas des dernières heures. Il voit. Les débris par terre d’une possible chute. Quelques bouteilles aussi. Son veshti enroulé autour de la taille, le torse nu, il constate son déclin permanent. Anjali lui a déjà proposé de venir chez lui. Elle a un espace, exigu, mais confortable, à côté de sa chambre. Il n’avait jamais envisagé que cela puisse aller si vite. Les mots d’un médecin, le plus éminent soit-il, ne sont que des éléments structurés d’une utilisation précise de termes qui ne représentent rien tant qu’ils ne s’imprègnent pas en vous.
Il se couche sur sa terrasse. Un whisky à la main, il essaie de se remémorer la scène qui vient de se passer. Le noir. Rien que du noir. Quelques moustiques viennent le sauver. Il se gratte. Bouge. Pense à autre chose. En plus de ne pas se souvenir, de délirer sans doute, s’imprégner de cette folie tenace de vouloir chercher ce qui s’est passé peut vous abîmer plus profondément encore, inlassablement. Le noir.
Quelques pas feutrés sur le sable le contrarient. Il crie. Hurle même. « Laisse-moi. Pourquoi viens-tu ? rien. Il n’y a plus rien ici. Juste des absences… ». Anjali ne dit rien. Elle se couche à côté de lui, comme elle le fait depuis quelques jours déjà. Chaque soir maintenant, elle vient s’assurer qu’elle ne doit pas l’emmener de force, qu’il boit son whisky ou une bière, qu’il lui criera bien dessus. Elle espère. Seules marques qu’il revient encore.
Il y a deux jours, elle était là quand lui ne l’était plus. Accoudé à sa table, il soliloquait. Là où il était, ils devaient être plusieurs. Elle ne comprenait rien. Il part dans sa langue maternelle. Elle a juste compris qu’il y avait de la souffrance. Son visage était terrifié. Pétrifié. Elle avait attendu. Le voir. Ses yeux quand il se rend compte du temps passé. La douleur. Elle était apparue à ce moment-là. Il lui avait dit : « j’ai un numéro dans mon carnet. C’est le médecin qui m’a diagnostiqué. Appelle-le. Explique-lui. Je dois aller voir un médecin ici. ». Elle l’avait fait. Il avait un collègue à Delhi. Il avait précisé qu’à ce stade, déjà quand il était parti, cela ne devrait plus être très long.
10h. Sur le quai de la gare, cela fourmille. Les annonces de trains se multiplient. 1.406.632.000 indien.nes, il en faut des trains. Des vies qui se croisent. Qui se sentent. Qui se touchent. Qui ne se connaissent pas. Qui parlent des dialectes. Qui mangent du paneer. 2 jours de voyage. 2905,5km. Un même pays. Anjali regarde Dimitri. Il lui sourit. Elle sait que de ce voyage, il ne restera après que la volonté farouche de Dimitri d’en terminer. 2 jours et quelques heures pour l’aider à s’en aller. Peut-être pas là, dans l’instant, mais pour comprendre comment l’accompagner.
Dimitri lève la tête. Il transpire. Les pores de sa peau n’en peuvent plus de déverser toute l’eau qui compose son corps. Il continue à sourire. Ils pensent à ses enfants. A leur mère. A elle. Il sourit. Sa respiration se fait plus douce. Plus lente. Elle…
{Prenez soin de vous… et des personnes que vous aimez… des corps… des peaux… des âmes…profondément… intensément… même dans l’oubli…}