19 juin

Enjouée, elle était drapée dans son sari. Les couleurs se mariaient avec son humeur. Elle avait avalé en vitesse quelques idlis et un masala vadai. Les odeurs embaumaient son pied à terre. Dehors, la vie était déjà présente. Trépidante. Les klaxons s’envolaient vers le ciel étouffant qui enrobait les nuages épars. Son chai bouillant l’attendait sur le coin de la table. 

Dans la rue, l’effervescence se mélangeait à la quiétude toute relative de quelques chiens erratiques. Le soleil de plomb, mélangé aux odeurs d’essence, s’immisçait dans les corps, brûlant. Elle avait encore quelques mètres à faire pour arriver à l’école. Là, l’attendaient quelques dizaines d’élèves, d’âges divers. Cela n’avait pas d’importance. Transmettre, leur donner des armes, les aider à s’en sortir. Seules ces choses en avaient. Ils n’étaient pas toujours là. Certain.es venaient épisodiquement. Leurs vêtements, ou ce qui en restaient, n’avaient parfois plus d’odeur tellement elle empestait.

Anjali parcourait ce chemin 6 fois par semaine, 2 fois par jour. C’est sur cette route qu’elle avait rencontré Dimitri. Elle lui avait plu de suite. Son sourire indiquait la même chose. Contrairement à ce qui était attendu, elle l’avait accosté. A son âge, seule, personne n’allait plus rien lui dire. Professeur dans le bidonville en plus. Les chauffeurs de rickshaw présents à cet instant se sont mis à rire. Ils l’ont toujours respectée pour ce qu’ils sont parfois devenus grâce à elle, même si certains, qui ont pris d’autres voies, l’ont parfois menacée ou ont essayé de s’imposer dans son projet d’émancipation. 

Elle lui avait proposé de venir voir son école. Elle lui avait dit : « Un étranger ici, c’est pour le tourisme, découvrir la culture, les gens. Alors viens, je vais te montrer une école, des gens, tu vas en rencontrer ». Il avait accepté, sans rien ajouter, juste son sourire. Elle avait noté assez rapidement ses tatouages. Il avait donné cours avec elle. Il semblait savoir s’y prendre, même si clairement, il était débordé. Il lui avait donné rendez-vous en fin de journée, sur la plage pour manger ensemble. Elle avait accepté. Cela faisait maintenant plus de 6 mois qu’il venait tous les jours travailler avec elle. 6 mois, que chaque soir, ils se racontaient. Parfois autant dans leur silence que dans les mots choisis. 6 mois, c’est long, et tellement peu quand on a déjà passé plus d’un demi-siècle à arpenter les sols de la terre, et creuser des sillons remplis de bouts de soi… 

Ils n’étaient pas amants. Ils n’étaient plus ami.es. Ils étaient deux âmes proches de la fin. L’un comme l’autre espéraient depuis longtemps. Ils attendaient maintenant. Alors, assez facilement, ils ont compris très vite tous les deux que ce seraient plus doux, moins tempétueux, plus souriant sans doute de tracer les derniers pas ensemble. Ils avaient connu l’amour, l’un comme l’autre. Le seul. Celui qui reste. Même dans l’absence. Ils n’étaient plus obligés. Elle prit son bras. Elle le regarda comme elle le fait depuis 6 mois maintenant. Au fond de leurs yeux, la même mélancolie. Elle se mit à rire…   

{Prenez soin de vous… et des personnes que vous aimez… des corps… des peaux… des âmes…profondément… intensément… même dans l’absence…}