Les yeux plongés dans son café, elle ne décolère pas. 1 mois déjà qu’il a disparu. Juste ses lettres. « A chacun.e d’entre nous », se dit-elle. Et lui qui ne dit rien. Pourtant, il doit savoir. Cela fait 40 ans qu’ils sont amis. Quasi des frères. Pas un mot, à part ceux réconfortant qu’il semble avoir appris par cœur. Juste cette phrase qu’elle ne peut pas encaisser : « ton père, cela fait un peu plus de 10 ans qu’il attend ce moment. Et nous le savions toutes et tous. Pour tout te dire, cela fait une vie entière qu’il cherche cet instant… il faut le laisser… il s’est assez épuisé d’une vie qu’il n’avait pas demandé…»…
« Putain papa ! Et moi, je n’ai rien vu. Après ces mois de doutes. Je l’ai vu souriant. Calme. Apaisant. Il parlait bien de sa fragilité. Comme une antienne. Comme pour nous dire qu’il avait décidé de vivre la vie un peu sur le côté. Se protéger. Pourtant, il y était. Il vivait. Il souriait. Et comment il nous regardait. Et puis… Théo… Léa… »
Elle se lève. Sur la terrasse de sa maison, entourée des bruits lancinants des éoliennes, elle sent. Sa peine. Sa douleur. Juste ses lettres. Une pour chacun.e. c’est son mari qui lui a lu la tienne. Elle n’en était pas capable…. Une sonnerie. Le boulot. « The show must go on ». Queen. C’est de sa faute si elle pense à cela. Qu’est-ce qu’il nous a baladé avec ses musiques. Cette passion dévorante. Théo arrive. Elle sourit. « Je te rappelle. Les enfants viennent de se lever. Envoie moi le visuel. N’oublie pas. Tu sais que le tournage doit avoir lieu dans quelques mois. Il veut absolument que cela soit en Inde. Mer, montagne, temple, Bollywood et spiritualité il a dit… »..
Il l’observe depuis un certain temps. Il sait qu’elle ne lâchera pas l’affaire. C’est une de ses qualités, certains diraient un défaut. Cela lui colle à la peau. Dès leur première rencontre, il a vu que ce serait sportif, beau… mais sportif. La moindre parcelle de sens, de vie, de questionnement était auscultée, analysée, broyée, chérie, ingurgitée, assimilée, appropriée pour s’en nourrir, durablement, et constamment… le repos n’était pas une sensation naturelle… alors son père qui disparait laissant juste une lettre à chacun.e… depuis un mois, dévorant tout sur son passage… Si elle savait. En rangeant les affaires de son appartement, il est tombé sur une boite. Remplie de carnets. Eux-mêmes consignés, annotés, des phrases entières. Des dates. 10 ans de vie. Des photos. Des mots. Des lettres. Il en a parlé de suite à son ami. Et cette dernière phrase… Alzheimer. Même lui n’en savait rien. Pour le reste, il a tapé sur son épaule et lui a dit : « ton beau-père… c’est pour tout ce qu’il y a dans cette boite que je l’aime… tout était toujours sur un fil… son fil… un monde ouvert et tellement personnel… un refuge… sur son fil… ».
Lilian la regarde. Elle s’active. Léa vient se lover dans ses bras. Il ne sait pas comment il va lui parler de cette boite. Son ami lui a dit d’en parler d’abord à sa mère. Elle saura quoi faire. Elle a toujours su quoi faire. Personne ne le connait mieux qu’elle. Encore plus depuis qu’ils étaient séparés. Elle comprendra ce qu’il y a là. Elle seule trouvera les mots. Ils se ressemblent tellement.
{Prenez soin de vous… et des personnes que vous aimez… des corps… des peaux… des âmes…profondément… intensément… même au plus profond de vos rêves… ou de vos souvenirs… de qui vous êtes… }