05 juin

Tourner à gauche. Cent mètres. La délivrance. Le front en sueur, il descend de son vélo. Quelques rayons réchauffent son visage. Il sourit. Quelques gouttes perlent bien encore un peu dans son dos, en suivant les courbes de ses muscles saillants. Il tressaille. Au même moment, la porte s’ouvre. Elle sourit. Dix mètres tout au plus les séparent. Le temps s’arrête.

A cet instant, il repense à cette conversation avec son père. Ils étaient partis courir. Il le faisait pour lui faire plaisir. Cela faisait longtemps qu’ils n’avaient plus le même rythme. Son père n’était pas dupe. Au détour d’un chemin dans les bois, il lui avait demandé ce qu’il pensait de Manon. Comme à son habitude, il n’avait pas esquivé la question. Encore moins s’il pouvait parler d’amour, des relations entre les êtres, entre les âmes, entre les corps. Il était intarissable sur la profondeur des relations humaines, encore plus quand elles s’ancraient dans l’amour. Pour lui, rien n’avait plus d’importance que l’amour…

Il n’avait pas tari d’éloges sur Manon. Elle avait toutes les qualités possibles, et surtout « elle avait un regard qui donne de la douceur à la vie », avait-il dit. En rentrant de ces kilomètres avalés au cœur de la nature, fourbus l’un et l’autre, son père avait ajouté, dans un souffle apaisé  : « si ta question de tout à l’heure, c’était de te réconforter ou de t’ancrer dans ce que tu penses de Manon et de toi, de savoir si c’est Elle… ou pas. Ne cherche pas dans les propos des autres, quels qu’ils soient, ce que tu penses au fond de toi. Va chercher ton âme… elle seule te le dira… » et il termina en lui confiant, comme un trésor caché : « Écoute « Ce jour-là » de -M-, je le fais en pensant à… », sans terminer sa phrase. Il avait souri, son père étant célibataire depuis des années. Cela faisait partie de ses moments qu’il distillait parfois et que personne ne comprenait jamais. En tout cas lui…

Comme chaque fois, il posa sa main sur son ventre. Il avait perdu. Elle était encore rentrée juste avant lui. Enceinte ou pas, elle irait toujours plus vite que lui. Plus vite… Quand il lui avait fait écouter cette chanson, en posant son casque sur ses oreilles, dans le silence qui avait envahi la pièce, les secondes semblant s’épuiser à remonter le temps, elle lui avait dit « enfin » … 

Le reste, c’est un « oui » qui résonne dans les rues de Bruxelles, des pleurs de joie de sa mère en les voyant s’embrasser dans l’embrasure de la porte, son frère dansant jusqu’au petites heures, quelques joints allant de mains en mains, et puis son père les regardant s’aimer…

Alors, quand sa sœur l’appelait pour lui dire qu’elle n’en pouvait plus de cette absence, qu’elle ne comprenait pas qu’il fasse une chose pareille, il fermait les yeux, et espérait juste que là où il était parti attendre le coucher du soleil, il écoutait « Ce jour-là », avec elle, sur le perron de leur maison et qu’ils pouvaient enfin être eux…

{Prenez soin de vous… et des personnes que vous aimez… des corps… des peaux… des âmes…profondément… intensément… tant qu’elles sont là… sans mesures… sans regrets…}