14h, je vais te retrouver. Je dois encore passer chercher une ou deux bricoles pour ce soir. Cela ne vient plus à ces quelques minutes. Je suis nerveux. Je sais que j’aurais dû venir plus tôt. Tu sais ce que c’est. Puis j’avais peur. De moi. Laisser un temps aussi long s’écouler, c’est parfois difficile de pouvoir faire machine arrière.
Je suis sur mon vélo. Je sais ce que je vais te dire. Tu ne répondras rien. Le silence sera notre allié. 18 mois. Plus les quelques années précédentes. Un feu. Je m’arrête. Une vieille dame traverse. Un sourire, un retour, un deuxième sourire. Elle est belle. Élégante, elle laisse son regard se poser sur les deux tourtereaux qui la dépassent, joyeux. Les éclats de rire. Elle me regarde. Un clin d’œil. Vert. Je me demande où elle va. Ce qu’elle fait. Ce qu’elle a vécu. Ce que nous devenons toutes et tous…
Encore 5 minutes et je serai là. Je sais ce que je vais te dire. Sans doute que tu ne seras pas d’accord. Je le sentirai. Il y a tant de choses qui se bousculent. Un klaxon. Deux ou trois coups de marteau piqueur. Une voiture qui me frôle. En un rien, le temps de ces absences, nous pouvons disparaître. Je ne t’ai rien dit. Je sais que tu sais. Déjà avant, tu sentais avant nous tout cela.
Je dépose mon vélo au coin d’une rue. Un cadenas. Qui voudrait de cette vieille bécane ? 25 ans de Bruxelles. Le dérailleur qui picote, toussote. 25 ans d’histoires diverses. De chutes, d’abandons, de rires, de chemins entre le cirque royal, l’ancienne Belgique, le botanique. Entre les ami.es. Les corps aimés. Aimée.
J’entre. Un peu perdu. 18 mois et comme je viens la première fois. Je demande à cette charmante dame et cet étrange monsieur. Ils m’indiquent le chemin. Je prends au plus long. Je croise d’autres personnes. Certains lisent. D’autres se promènent. Puis des moments suspendus. Silence. Je marche encore moins vite. Je cherche…
Tu es là. Ton nom gravé. Les larmes coulent. Les mots restent dans ma bouche. Ils passent en boucle dans ma tête : « J’aurais dû… t’appeler quand tu étais encore là. Prendre le temps de te proposer un verre, une promenade. Tu aurais dû nous dire. Ce qui te rongeait. Cette p… de maladie. Nous faire confiance. Ne pas nous protéger. Je m’en veux. Je n’ai rien vu. Je n’ai pas pris le temps… Pour tout cela, et le reste… prends soin de toi là où tu es… »… tout reste bloqué… dans ma tête… juste des larmes qui coulent. indéfiniment…
Je sors. Les yeux rougis par la tristesse. Le vent. Quelques gouttes tombent. Les regards des gens que je croise. Je frotte. Les écouteurs sur les oreilles. Quelques sons. Arcade Fire… des crescendo… épiques… je roule. je ferme les yeux. Espère. Un autre chemin. Tu n’as rien dit…. Pourtant, je sais que tu as entendu. Mon ami, tu nous as portés, aimés, protégés… sans toi, nos vies auraient été différentes. Je t’en ai voulu d’être parti sans rien nous dire. Je me suis détesté de ne pas avoir été là. 18 mois. Je roule. un feu. Personne ne traverse. Je cherche la vieille dame. Pour lui dire que… la vie. Je ne sais pas…
{Prenez soin de vous… et des personnes que vous aimez… des corps… des peaux… des âmes…profondément… intensément… n’attendez pas pour leur dire…}