01 mai

Enzo Scifo. Une fois n’est pas coutume, parler de football. Enzo Scifo. La beauté footballistique à l’état pur. En regardant mardi soir Manchester City contre le Real Madrid, j’ai pensé à Enzo Scifo. Pour celles et ceux qui suivent le football en Belgique, sachant que je suis supporter du Standard, aduler Enzo Scifo, c’est un acte de transgression. Une sorte de coming out. Dépasser des frontières. Aimer le jeu pour le jeu. Sans parti pris. Enzo Scifo, c’est l’art. Tout était coordonné. Millimétré. Une chorégraphie du geste. Une danse. Du Jazz. La partition en mouvement. Les autres qui suivent. Une diagonale. Des corps qui se meuvent. Des arabesques. Un tempo forte. Et puis les mouvements. Le football à l’état d’art. La culture. 

Parler d’Enzo Scifo. C’est aussi parler de la jeunesse. Être adulé avant d’être adulte. Se trouver devant les projecteurs. A une époque où rien n’était réellement professionnel. Pas de maître communicant. Pas de féérie de l’image. Enzo Scifo, c’était l’adolescent pris dans le tourbillon médiatique. Les micros devant. Sans être préparé. Facile de se moquer.  C’est l’exemple aussi d’un certain mépris de classe. Qui s’étiole avec le temps. Qui reste présent. Les sportifs. Quelques phrases entendues : « Ce sont des « cons » quand même ». « Ils ne savent pas s’exprimer ». « Ils n’ont pas inventé la roue »…  Moi non plus d’ailleurs. Je n’ai pas inventé grand-chose. Rien en fait. Et nous sommes nombreux comme cela. Au mieux, personnellement, je recycle quelques petites choses que je pense maîtriser. Et je l’ouvre bêtement, pensant tout détenir.. Surtout un avis. Péremptoire. Et puis, quand nous voyons dans nos boulots respectifs le stress que certaines situations en public peuvent générer en nous. Les situations gênantes dans lesquelles nous bafouons. Les quiproquos liés à simplement notre non préparation à se retrouver en public ou à vouloir intervenir sur des sujets que nous ne maitrisons pas, sans qu’on soit sollicité ?  alors pour peu que nos cerveaux fonctionnent, je vous laisse créer le lien entre les différentes phrases, depuis « mépris de classe »… 

Lire « la pyramide inversée »[1], bible de l’histoire des tactiques en football. Comprendre que dans le sport, ce sont des milliers de schémas tactiques à emmagasiner. Il faut comprendre, le tout en mouvement, dans un millième de seconde, adapter, s’adapter à ce qui se passe tout en ayant les schémas. L’intelligence. Ce sont des milliers de formes, l’intelligence. J’entends souvent dans mon métier… les différentes formes d’intelligence. De la pédagogie.  Avec la touche de génie, celle des doués. Enzo Scifo. C’est tout cela. Le génie dans l’art du football. Dans son sport. Le jazz et le football. Ma comparaison favorite. Il faut comprendre les notes pour s’en libérer. Créer. Avec des rôles. Et puis la grâce… 

Enzo Scifo, c’est l’humilité. Le plus grand joueur belge. Et il ne le dira jamais. Le mot est rare. Ce sera De Bruyne, aux yeux des data, des palmarès, de la médiatisation, de son talent, qui est énorme. Les époques. Comparer les histoires. Les moments. Comme nous le faisons avec nos enfants. C’était mieux. Ou pas. C’est différent surtout. Avec ce qu’il y a de beau et de merdique. Pour moi, c’est lui. Parce que dans nos regards, transformés par nos histoires, nos madeleines, nos moments, notre vie, il n’y a pas une vérité. Des possibilités. Des souvenirs. Surtout des souvenirs.

Enzo Scifo, c’est le temps qui passe. Déjà. Ou seulement. Et si un soir d’avril en regardant De Bruyne, dans le salon, avec mon fils, je me mets à penser à Enzo Scifo, c’est qu’il file ce temps. Pas encore assez vieux pour l’emmerder avec ma pensée, suffisamment pour me dire intérieurement que demain, ce sera avec mes petits-enfants que je penserai à Enzo Scifo, à son élégance, à l’art du football qu’il a élevé à un niveau de beauté inégalé, à la vie qui passe, au fait que je pensais pouvoir rouler tranquillement à vélo sur le chemin et que la vie nous met sur un circuit de F1, que ces moments intenses d’émotions positives de communion tant dans le sport, que dans la culture, il faut les vivre pleinement… alors merci Monsieur Scifo…

Parce que finalement… l’amour qui y est mis… toujours l’amour… rien que l’amour… 

Prenez soin de vous… et des personnes que vous aimez… des corps… des peaux… des âmes…profondément… intensément… l’esprit ouvert…


[1] Wilson Jonathan, La pyramide inversée. L’histoire mondiale des tactiques de football, Hachette, 2018