Mardi. Samedi. Quelques jours qui ont passé. Le flux continu d’informations. D’experts. De violence. Des journalistes. Des images. Les sirènes. 900 mètres de Maelbeek. Les élèves. Nous, les adultes. Les sms. Les messages. Et tout au long de la journée, rassurer, laisser aussi les émotions des uns et des autres prendre diverses formes. Penser à ses enfants, ses proches. Espérer. Gérer. Gérer… puis partir. Là, quelques larmes qui coulent. Vite réfrénées. Des rues bloquées. Traverser la rue de la loi, vide, quelques photographes immortalisant le silence…
Tomber sur les journalistes à Schuman. Prendre à gauche. Pleurer. Vite. Penser qu’on a géré. Retrouver les enfants. 300 mètres. Les policiers, des rues bloquées. Un hélicoptère. Les magasins fermés. Fragile. Penser à ses proches. A un tout proche. Les parents qui débarquent les enfants. Rentrer. Ils parlent de bombes. On ne sait pas. Rassurer les enfants. Parler, jouer, s’informer mais prudemment. L’hélicoptère. S’informer. Mais je ne vois pas. Enfin si. Des paroles. Des images. Un flux. Mais rien auquel m’accrocher. Couper. Les matelas dans une chambre. Ils dorment. On a géré. Rassuré.
Puis il y a l’amour. Cela ne peut qu’aller. Egoïstement, jusqu’à preuve du contraire, mes proches ne sont ni blessés, ni disparus, ni victimes… j’ai tenu. Parce qu’il y a les enfants, les élèves. J’ai tenu… mais pourtant, à l’heure où il n’y a jamais eu autant de preuves de rassemblement, d’amour, de communauté, j’ai le sentiment diffus qu’ils ont gagné. Au moins une bataille. Non pas dans notre capacité à nous mobiliser, à aimer… Les témoignages, les rassemblements, les messages… Non pas dans la peur… Je n’ai pas peur d’aller au cinéma. Je n’ai pas peur d’aller dans un bus. Je n’ai pas peur d’aller à un concert. J’irai toujours courir.
Dans le sentiment de nous renvoyer un vide abyssal… Je ne crois plus en Dieu, depuis longtemps. J’ai cru. Aujourd’hui, réellement, je comprends le réconfort que doivent avoir les personnes qui croient en un Dieu bienveillant. Pouvoir se reposer dans la prière, la communion qui peut être un moment de partage. Avec ce repos du cœur d’un projet derrière. Celui d’un monde meilleur. Un espace à atteindre. Dans l’Amour.
Le sentiment de vide abyssal… quand on ne croit plus/pas, il ne reste plus grand-chose. Il reste les Hommes. Notre société. Concrète.… le vide abyssal … du traitement de l’information… de nos projets collectifs… de nos politiques sociales, économiques, culturelles… le vide abyssal de nos analyses quotidiennes… Je ne dis pas de toutes et tous… mais de ceux qui ont gagné en fait chez nous… et demain ? Les pleurs sur les corps de nos victimes, à Bruxelles, à Paris, à Ankara, dans les conflits qui ravagent le monde, ils reposent en partie sur ce vide… depuis mardi… je ne rends compte qu’il n’y a pas de projets collectifs sociaux, citoyens, solidaires, respectueux de nous toutes et tous au niveau mondial, européen, belge, bruxellois… si… mais à la marge… à peine si on les écoute vraiment… une niche…
Le sentiment de vide abyssal…. Je sais que demain, je vais me réveiller. Je serai dans un monde plus sécuritaire, complètement sécuritaire. Sans doute. Mais vide de projet à part celui-là… et celui de faire du fric… alors en fait depuis mardi, je ne gère pas, je me sens vide… et je pleure… Pour les victimes, mais aussi pour mes enfants. Parce que nous avons failli. Et à l’âge que j’ai, je ne peux plus faire comme les générations précédentes, dire que c’est de leur faute. C’est la mienne aussi.
Dans « la Quête de l’oiseau du temps », il y a un personnage… « Bulrog »… sorte de monsieur Hulk au visage dévasté, caché derrière un masque… qui construit sa légende autour de faits d’armes et de la violence… il lui arrive un moment dans cette fameuse route de devoir laisser ses compagnons, blessé. Il se trouve dans un lieu d’étude, de connaissance… parce que c’est le moment… celui de grandir… de laisser tomber son masque… de se construire… en retournant dans les livres, mais aussi dans ce que nous sommes… ensemble…