L’enfant tenait la main de sa maman. Elle semblait rire. Coiffée d’un chapeau qui lui donnait une élégance un peu bohème, ses longs cheveux tombaient dans le bas de son dos. A côté d’elle, ce jeune homme, un peu perdu, le casque visé sur ses oreilles. Il épie les faits et gestes de la personne en face de lui. Chemise bleue, jeans, baskets blanches. La barbe légèrement présente. Deux mètres en contre-bas, un couple s’embrasse. Il fait chaud. Les rayons du soleil se déposent lourdement sur les épaules de ce vieil homme assis dans l’aubette, près du kiosque à journaux. Chacun.e attend le signal pour s’ébrouer, continuer à avancer. A part le vieil homme. Épuisé.
Lissandro attend son frère dans la voiture. Il observe ces gens. Leurs tenues. Leurs gestes. Leurs attentes. Il leur invente des vies. Parfois des espoirs. Ce jeune homme qui s’arrêterait au milieu du passage zébré pour enlacer cet éphèbe à la chemise bleue. Cette maman qui viendrait prendre de son autre main cet homme vidé et s’en iraient boire un verre de vin rosé, attablés comme des parents retrouvés. Il s’organisait pour que ses rencontres soient toujours douces, amoureuses, souriantes et bienveillantes. Le reste, d’autres s’en occupent.
Matteo tape à la fenêtre. Le regard songeur et la moue renfrognée. « Qu’il est beau ce petit con… » pense-t ’il fugacement. Lissandro lui ouvre la porte. Il monte. « Tu es prêt ? ». « Cela fait des semaines qu’on prépare cela, ne t’inquiète pas. ». « C’est quand même dans 2 jours que vous partez. Vos vélos ? les bagages ? l’itinéraire ? ». « Tu comptes jouer à cela longtemps.. je t’assure que si tu continues, je vous plante là… Maman, Lilian, Laura, Manon et toi ! ». Il sourit. « Beau, et en colère…» se dit-il, au moment de démarrer.
Sharon Van Etten égrène les chansons de cet album de 2022, « We’ve been going about this all wrong » pendant que Lissandro et Matteo se parlent comme ils l’ont toujours fait. En évitant les mots. L’un est trop à fleur de peau. L’autre n’entend la vie que dans la douceur. Un barbecue les attend. Toute la famille réunie. Celle de leur mère. Une cinquantaine de personnes, fêter les départs en vacances. Une vieille tradition perdue dans un coin de la tête de leur grand-mère. Elle a toujours été un peu barge. Elle ne s’occupe plus de rien. A part prendre soin que l’on danse, boive, chante, mange, et si en plus à la fin, on s’embrasse, elle n’en sera que plus heureuse. Son mari, leur grand-père, est décédé il y a 3 ans. Arrêt cardiaque. Le jour de son enterrement, entre les pleurs, les hommages émouvants (quel putain d’homme c’était, tout en discrétion bienveillante), cela vivait. Ils ont dansé toute la nuit avec les personnes qui restaient. Les proches. La famille. Ce sont les filles qui s’occupent de tout, et maintenant les plus âgés des petits-enfants. Matteo regarde son frère conduire. « Je lui ai demandé de vivre avec moi quand on reviendra », susurre t’il. Lissandro ne dit rien. « Beau, en colère, et amoureux… », ce sont les mots qui lui viennent en tête. La main gauche sur le volant, il passe sa paume droite dans ses cheveux, plisse ses yeux, dans ce petit rictus souriant qu’il peut parfois avoir. « Mamy va encore être torchée ce soir ». Ils éclatent de rire. Dehors, quelque part dans la ville, le casque visé sur ses oreilles, un jeune homme se couche sur son lit… et commence à déboutonner la chemise bleue.
{Prenez soin de vous… et des personnes que vous aimez… des corps… des peaux… des âmes…profondément… intensément… même quand plus rien ne semble possible… }