Le temps d’un trophée

Eden Hazard. Joueur du mois en PL. Ballon d’or. Liste et autres joueurs. Joueur de l’année. Soulier d’or. Stick d’or. Trophée national du mérite sportif. Les récompenses individuelles dans les sports collectifs, mais de manière générale les récompenses dans le sport et la culture (ne parlons pas des oscars, césar, …) m’ont toujours interpellé. Au plus je vieillis, au moins je saisis le sens de ces distinctions. Sans doute de voir mon aîné jouer dans un sport collectif pollué à quelques occasions par des perspectives individualistes ou égoïstes que je ramène souvent à la propension que nous avons de mettre en évidence les soi-disant « meilleurs » dans les catégories d’âges avec des prix individuels de meilleurs joueurs de l’équipe. Comment signifier dès la « naissance » sportive qu’il y a des plus importants et des moins importants, tout en disant qu’il faut être une équipe.

Ma réflexion prend de l’ampleur quand, fan assumé de football, je vois la focalisation intempestive faite autour de Ronaldo, de Messi. Certains me diront que nous venons ou regardons les matchs de football pour voir des buts. A 12 ans sans doute. A 40 ans, si le jeu se résume à des goals, alors finalement, mettez simplement 2 avants et 1 défenseur avec un gardien. J’en verrai, avec des gestes techniques de toute beauté. Non. Il y a aussi cet individualisme forcené, le besoin de chercher des « attractifs », des joueurs qui polarisent. Cela marque, cela rend les choses passionnelles, parfois simplement « bankable ». Pour moi, l’intérêt dans le jeu, c’est l’animation. La qualité générale. Le jeu sans ballon dans un sport de ballon. Les positionnements, les pressings qui empêchent la circulation de balle, ou simplement à un joueur de pouvoir se positionner pour avoir la balle. Le jeu, c’est aussi les interceptions défensives propres, techniques, qui soulagent les équipes. C’est l’abattage, c’est la capacité de certain-es joueurs-euses à comprendre le jeu pour positionner et calmer les partenaires. En somme un sport collectif, c’est la somme des efforts effectués par l’ensemble des éléments sur le terrain pour parvenir à gagner la partie.

Le travail du défenseur central a autant d’importance que la frappe du génie, parce que cette frappe n‘existe pas quand les autres ne font pas le travail. Plus loin, ce travail d’organisation, de récupération, de ballons propres intègre aussi le génie. Celui de comprendre plus vite, d’intercepter et d’alléger. Il y a du génie et de la beauté dans la façon de défendre et de proposer du jeu de la part d’Alderweireld ou Boateng. Que dire des gardiens : regarder Courtois, Buffon ou Neuer effectuer un arrêt ou relancer un partenaire tient autant de la beauté étincelante ou du frisson que nous pouvons ressentir qu’au moment où Van Basten crucifie Dasaev, Zidane s’envole en finale de Champions League ou Messi crucifie le gardien de l’équipe d’Iran. Demandez à un hollandais ou un belge ce qu’il retiendra du match Belgique-Pays-Bas de la coupe du monde 1994 : Michel Preud’Homme et ses arrêts quasi divins, même si le but de Philippe Albert nous a rendu fou.

Le prix finalement dans un sport collectif, c’est la compétition gagnée grâce à l’ensemble de ces éléments. Pourquoi évaluer, comparer et hiérarchiser des individus qui n’occupent pas les mêmes postes, qui n’accomplissent pas les mêmes tâches, qui ne jouent pas dans les mêmes systèmes, dépendant des stratégies et occupations de terrain d’entraîneurs et de circonstances de jeu.

Mais si ma réflexion porte principalement sur le football, elle émarge aussi dans les distinctions données à des sportifs mais en les mélangeant, provenant de domaines totalement différents. Prenez le trophée national du mérite sportif. Je comprends la fierté de celui ou celle qui le reçoit. Mais j’avoue avoir du mal à me dire qu’on parvient à juger de qui « mérite » plus qu’un autre ce trophée. Le magnifique Pieter a-t-il fourni moins d’efforts que la somptueuse Nafissatou ? Fantastique Greg, parce que déjà en taille patron dans son sport, porte-t-il moins d’engagement et de souffrances ? Et les sensationnels garçons, sont-ils moins méritant parce qu’ils ont perdu cette finale après avoir fourni quantités d’efforts dans des matchs à répétition ? Quand je pense à ce trophée, un nom revient inlassablement dans mon esprit : Muriel Sarkany. Championne du monde d’escalade en 2003, finaliste en 2007. Vainqueur de la coupe du monde en 97, 99, 2001, 2002 et 2003. Championne d’Europe en 1998. Un des plus beaux palmarès sportif belge. Pas de trophée national du mérite sportif. Marc, footballeur fantastique, en 2002, oui. Daniel en 2014 pour une carrière majestueuse oui.

Alors cette chronique, je la dédie d’abord à nos enfants sur tous les terrains de tous les sports, pour qu’ils s’amusent, ensemble, sans se comparer négativement, sans se marcher sur la tête pour aller plus haut, pour qu’ils progressent ensemble, chacun-es à leurs niveaux. Juste dans la beauté de leurs efforts respectifs.

Puis je pense à Mbaye Leye, Aline Zeler, Silvio Proto, Laurent Ciman, Dominique Monami, Thierry Cabrera, Rik Samaey, Muriel Sarkany et tant d’autres pour les émotions partagées …Merci à vous…